Lettre ouverte à la FINMA: Combien de Blattens faudra-t-il encore?
25.09.2025 – Le 25 septembre, un éventail d’organisations de la société civile, de chercheur·e·s, de responsables politiques et de citoyen·nes a adressé une lettre ouverte à la FINMA, l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers.
La FINMA occupe une place centrale : c’est elle qui supervise le secteur de l’assurance en Suisse et qui devrait, à ce titre, anticiper les risques majeurs pour la stabilité financière. Pourtant, ses récentes déclarations — affirmant qu’il serait « trop tôt pour conclure » que le changement climatique constitue un risque concret et immédiat — inquiètent. Elles sont en décalage flagrant avec les avertissements répétés des assureurs eux-mêmes et avec les constats de la communauté scientifique internationale.
L’effondrement du glacier de Blatten, dont les dégâts assurés sont estimés à 320 millions de francs, montre que les effets du dérèglement climatique ne sont pas une menace abstraite ou lointaine : ils sont déjà là, et ils coûtent cher.
Les assureurs ont un rôle particulier dans cette dynamique. D’un côté, ils indemnisent les victimes de catastrophes climatiques toujours plus coûteuses. De l’autre, beaucoup continuent à assurer des projets d’énergies fossiles, qui alimentent directement la crise climatique et accroissent la probabilité de nouvelles catastrophes. Cette double position souligne d’autant plus l’importance d’une régulation forte et cohérente.
👉 Lisez la lettre ouverte ci-dessous :
Combien de Blattens faudra-t-il encore?
Cher Monsieur Walter, Directeur général de la FINMA,
Chère Vera Carspecken, Directrice suppléante et responsable de la surveillance des assurances,
Nous vous adressons cette lettre ouverte au nom de la société civile, de responsables politiques, de scientifiques et de citoyen·nes préoccupé·es.
En tant qu’autorité de surveillance du secteur de l’assurance en Suisse, la FINMA a un rôle crucial à jouer pour anticiper et encadrer les risques climatiques. À ce titre, nous vous demandons de:
- Clarifier publiquement votre position en corrigeant votre déclaration trompeuse dans l’article de la RTS.
- Reconnaître explicitement le changement climatique comme un risque financier immédiat et important pour le système d’assurance suisse.
- Fournir aux assureurs et au secteur financier des orientations claires et des signaux exploitables qui soient cohérents avec la nouvelle circulaire « Risques financiers liés à la nature ». L’accent devrait être mis sur aider les institutions financières à procéder à des évaluations prospectives des risques climatiques et à des analyses de scénarios fondées sur des données scientifiques, afin de s’assurer que les risques sont identifiés et gérés à un stade précoce.
- S’engager de manière significative avec des scientifiques indépendants, la société civile et les communautés concernées – et pas seulement avec les voix de l’industrie – pour s’assurer que la réglementation s’aligne sur l’intérêt public.
Le 27 juin 2025, lors de la Swiss Sustainable Finance Conference, vous avez délivré un message clair: les risques liés au changement climatique et à la dégradation de la nature “se matérialisent de plus en plus”, exhortant les banques et les compagnies d’assurance suisses à s’attaquer de manière proactive à ces risques financiers et non financiers. Vous avez alors insisté sur le fait qu’il ne suffit plus de s’appuyer sur les données historiques des pertes pour évaluer les menaces climatiques futures.
Pourtant, quelques jours plus tard, dans un article de la RTS où les assureurs Axa, La Mobilière et La Vaudoise tirent la sonnette d’alarme sur l’intensification des catastrophes climatiques, votre représentant Marek Swierkosz déclare qu’il est « trop tôt pour conclure » que la récente augmentation des sinistres liés aux catastrophes naturelles est liée au changement climatique. Il a également affirmé que les catastrophes liées au climat ne représentent pas actuellement un “risque concret et immédiat” pour le système d’assurance.
Cette position contraste fortement avec les préoccupations exprimées par les principaux assureurs, qui sont déjà confrontés à l’augmentation de la fréquence et de la gravité des événements liés au climat. Leurs avertissements soulignent le besoin urgent de mesures réglementaires proactives pour faire face aux risques croissants.
Cette contradiction sape la confiance du public et affaiblit la crédibilité de la FINMA face à l’un des défis financiers les plus urgents auxquels la Suisse est confrontée.
Nous y sommes déjà.
La Suisse s’est réchauffée de plus de 2,9 °C depuis l’ère préindustrielle, soit plus de deux fois la moyenne mondiale. Il ne s’agit pas d’une menace lointaine : c’est une réalité qui s’accélère et qui affecte les communautés à l’échelle nationale. Le recul des glaciers, les inondations plus fréquentes, les éboulements, les tempêtes de grêle intenses, les incendies de forêt et les sécheresses causent déjà des dégâts et augmentent les coûts.
Le mois dernier, l’effondrement du glacier Birch a anéanti le village de Blatten, entraînant des pertes assurées estimées à 320 millions de francs suisses, ce qui correspond presque à la moyenne annuelle des demandes d’indemnisation pour catastrophes climatiques en Suisse. Les scientifiques de UZH ont conclu que “Sans le réchauffement causé par le changement climatique, le glissement de terrain au Kleiner Nesthorn ne se serait pas produit” et avertissent déjà que le village voisin de Kandersteg pourrait être le prochain.
Prétendre qu’il est “trop tôt pour conclure” que le changement climatique est à l’origine de l’augmentation des demandes d’indemnisation ne tient pas compte des preuves scientifiques accablantes. Une étude publiée en 2023 dans Nature Communications a révélé que plus de 50 % des pertes économiques mondiales dues à des phénomènes météorologiques extrêmes entre 2000 et 2019 étaient imputables au changement climatique.
L’Association Suisse d’Assurances a déjà déclaré qu’il est “certain que l’année 2025 entrera dans l’histoire”, citant des demandes d’indemnisation pour risques naturels supérieures à la moyenne au cours de l’année écoulée. Le dernier rapport de l’Institut Swiss Re annonce que les pertes assurées dues aux catastrophes naturelles devraient atteindre 145 milliards d’USD en 2025 et pourraient doubler au cours de la prochaine décennie en raison de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes.
Les régulateurs financiers européens et mondiaux sont de plus en plus nombreux à mettre en garde contre les risques croissants que le changement climatique fait peser sur le secteur de l’assurance. L’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) met en garde contre l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes qui entraînent une hausse de l’inassurabilité dans les zones à haut risque, menaçant à la fois les assureurs et la stabilité financière dans toute l’Europe. De même, la Banque d’Angleterre et la Banque centrale européenne soulignent qu’il ne suffit pas de s’appuyer sur des données historiques sur les pertes pour faire face à ces menaces climatiques systémiques tournées vers l’avenir.
Si le système suisse d’assurance contre les risques naturels peut sembler solide pour l’instant, il ne faut pas y voir un signe de résilience à long terme. En tant qu’autorité de surveillance financière de la Suisse, la FINMA ne doit pas attendre un point de basculement pour agir. Tout retard est lourd de conséquences pour les communautés suisses et les effets en cascade pour le système financier dans son ensemble.
Votre affirmation à la RTS selon laquelle les pertes assurées ont récemment diminué ne signifie pas que les risques ont diminué. Au contraire, cela pourrait refléter une atténuation temporaire par l’amélioration des normes de construction et de la préparation aux catastrophes – des mesures qui ne traitent pas des risques structurels accélérés posés par le changement climatique.
La Suisse ne peut pas se permettre une ambiguïté réglementaire face à l’accélération des risques climatiques. Nous exhortons la FINMA à parler d’une seule voix claire et à agir avec l’urgence que requiert cette crise.
Sincèrement,
Citoyens, scientifiques et organisations de la société civile concernés
Signataires:
Alliance Climatique Suisse (faîtière rassemblant 150 organisations)
Aînées pour le climat Suisse
BreakFree Collectif Suisse
Campax
Cédric Wermuth, Co-Président du PS Suisse
Christian Dandrès, conseiller national, membre du Parti Socialiste et d’ASLOCA
Delphine Klopfenstein Broggini des VERT-E-S, Conseillère nationale
Julia Steinberger, Professeur en Défis Sociétaux du Réchauffement Climatique, Université de Lausanne
Philippe Thalmann, professeur d’économie de l’environnement à l’EPFL
Lisa Mazzone, Présidente des VERT-E-S
Mattea Meyer, Co-Présidente du PS Suisse
Sergio Rossi, professeur ordinaire de macroéconomie et économie monétaire à l’Université de Fribourg
Sophie Michaud Gigon des VERT-E-S, conseillère nationale et secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs