L’autorégulation ne fonctionne pas, et les grandes banques suisses n’ont toujours pas de plan de transition et ne suivent pas les recommendations onusiennes, écrivent les membres du collectif BreakFree, qui étaient invités à Building Bridges.
Building Bridges 2024 a renouvelé l’exercice. Pas de Sergio Ermotti ou Ueli Maurer seuls en tribune assumant leur opposition à peine voilée à toute stratégie climatique crédible, comme cela avait été le cas lors des éditions précédentes. À leur place, Mary Robinson, Johan Rockström et Xiye Bastida ont répété l’urgence et signalé le franchissement de plusieurs “limites planétaires” face à un parterre de banquiers, de gestionnaires d’actifs et d’assureurs de BlackRock, Lombard Odier, UBS, Pictet, Zurich et de nombreux autres.
Les “ponts” que s’attèlent à construire depuis l’origine les architectes de l’initiative visent à relier la communauté financière active en Suisse avec le système des Nations Unies. L’avancée la plus nette est le partenariat conclu avec l’Initiative financière du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP-FI), qui a choisi d’y tenir sa Table Ronde annuelle.
À la veille d’une nouvelle administration Trump, la tentative de convergence présente un vif intérêt. Conscient de l’enjeu, Patrick Odier a martelé l’idée que le mouvement “engagé dans la bonne direction” est à long terme “inarrêtable”, tandis que les cadres onusiens soulignaient “la multipolarité” du monde ou les avancées des banques centrales en Europe, au Brésil, au Mexique et au Brésil.
L’autorégulation insuffisante en matière de finance climatique
Cependant, ce mariage de raison juxtapose deux visions hautement contradictoires de la finance climatique. D’un coté, Lombard Odier, Pictet, Zurich ou UBS unis pour louer la “voie Suisse” basée sur l’auto-régulation, des efforts de transparence vis à vis des pratiques de durabilité, et mettant en avant de “bons exemples” de financements ESG et “d’Investissement avec Impact”. De l’autre, les représentantes de la Task Force on Net Zero Policy des Nations Unies et du Climate Change Centre de la BCE estimant, chiffres à l’appui, que l’auto-régulation échoue à enrayer l’aggravation de la crise climatique, et appelant à la mise en place de régulations contraignantes.
Et pour cause, en Suisse le compte est très loin d’y être. Entre 2021 et 2023, UBS a encore fournit 12,5 milliards USD aux firmes développant le pétrole et le gaz, alors qu’elle s’est donnée un objectif de réduction de 70% de ses émissions financées d’ici 2030 sans calendrier détaillé de diminution de ses financements [Reclaim Finance, Nov. 2024]. Pire, la banque aurait décidé de saborder la feuille de route que s’était fixé Credit Suisse en vue de solder son exposition au charbon thermique [Bloomberg, 7 mars 2024]. En outre, la grande majorité des votes d’UBS Gestion d’Actifs lors des assemblées générales 2024 ont soutenu la direction des plus grands développeurs fossiles [Reclaim Finance, Dec. 2024].
Pictet gère pour sa part 9,7 milliards USD d’actifs dans les énergies fossiles, dont une part importante concerne des entreprises qui recherchent de nouveaux gisements ou construisent de nouvelles infrastructures extractives, loin de tout plan de transition crédible [Urgewald, 2024]. Ni Pictet ni UBS n’ont de stratégie d’engagement annoncée et systématisée.
Des contradictions qu’il faut aborder
Ces choix foulent au pied les préconisations de la Task Force on Net Zero, pour qui “un engagement Net Zéro doit contenir des objectifs intermédiaires (y compris des objectifs pour 2025, 2030 et 2035) [et] devrait inclure des objectifs spécifiques visant à mettre fin [au] soutien des combustibles fossiles”, clarifier et conditionner toute stratégie d’engagement ; ou encore ne “pas compromettre” les politiques climatiques par du lobbying [Task Force on Net Zero Policy, Nov. 2024].
En ne débattant pas de ces contradictions, le mouvement Building Bridges ne peut parvenir à atteindre ses cibles, dont un changement systémique et co-construit. Ce n’est pourtant qu’à ce prix que la finance durable deviendra transformatrice et inarrêtable.
Olivier de Marcellus et Guillaume Durin, BreakFree Suisse
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